Bienvenue dans cette édition très spéciale de la newsletter Un monde accessible ! ✨
Pourquoi spéciale ? Eh bien parce que c’est le numéro anniversaire. Ca fait maintenant un an que j’ai annoncé le lancement de cette newsletter lors de mon webinaire “5 actions à mettre en place pour rendre sa communication plus accessible sur les réseaux sociaux”, présenté par Léa Picaud.
La newsletter a bien évolué avec l’arrivée des illustrations et de la version audio, mais aussi avec vos retours et compliments.
Vous êtes nombreuses et nombreux à apprécier ce format long et fouillé et je vous en remercie infiniment. J’ai donc depuis quelque temps privilégié la qualité de cette newsletter à mes publications plus courtes sur les réseaux. 💜
Merci à celles et ceux qui ont lu tous les numéros et qui sont là depuis le début, mais aussi à celles et ceux qui viennent d’arriver. Installez-vous confortablement et direction un monde accessible !
Cette édition est spéciale car une dizaine de mes lecteurs et lectrices y ont contribué. Je leur ai demandé de répondre à une question simple en apparence : “ça ressemble à quoi pour vous, un monde accessible ?”
Une question qui invite à l’évasion, au rêve, car je crois fortement que c’est en créant de nouveaux imaginaires et en imaginant de nouvelles réalités que l’on peut les faire advenir.
Une question aussi qui donne la parole à des personnes concernées par le handicap, mais également à des personnes engagées, des professionnelles de l’accessibilité.
Les textes que j’ai reçus sont très riches, émouvants, parfois poétiques ou philosophiques. Pour tenter de répondre à la question : “c’est quoi, un monde accessible ?”, j’ai organisé les réponses en grandes catégories.
Il est possible que ce mail soit coupé, dans ce cas vous pourrez le lire dans votre navigateur ou l’application Substack.
Et comme toujours, vous pourrez écouter la version audio en haut de ce mail. 💜
Alors, c’est quoi, un monde accessible ?
Sommaire :
Un espace de mobilité
Un espace de représentation
Un espace de compréhension
Un espace de culture
Un espace de respect
Un espace de liberté
Un espace de communauté
Sans plus attendre, plongeons dans chacun de ces espaces !
Un espace de mobilité
La ville, un lieu commun qui doit être accessible en toute autonomie
Un thème qui revient souvent quand on parle d’accessibilité, c’est la question d’accessibilité des transports, et plus largement de nos déplacements quand on est en situation de handicap. Comment se rendre à son travail, à ses loisirs si la ville elle-même n’a pas été pensée pour être accessible ?
Lors d’une précédente interview, Wahiba Faure, la fondatrice de Waka Conseil, qui aide les entreprises à inclure le handicap dans leur politique RSE et elle-même concernée par la surdité, me parlait du concept-clé d’autonomie dans l’accessibilité.
Et elle prenait justement l’exemple des transports. Un monde accessible, ça commence donc par un monde dans lequel on peut se mouvoir en toute autonomie, quelque soit son handicap.
“Pour moi, l'accessibilité, c’est de pouvoir accéder à un service, à un produit, ou à d'autres activités sans devoir faire des efforts ou faire face à des obstacles pour pouvoir accéder à ça. C'est pouvoir bénéficier d'un aménagement 100 % capacitant. Je donne un exemple : le RER, on dit que le RER A est accessible aux personnes en fauteuil roulant.
Or, c'est faux. Pourquoi ? Accessible, ça veut dire que la personne en fauteuil roulant devrait pouvoir monter dans le RER quelque soit le wagon toute seule. Or, actuellement, il faut que la personne en fauteuil roulant fasse appel avec un bouton pour qu'un assistant vienne à côté d'elle et quand le RER arrive, il va installer une rampe pour que la personne puisse entrer dans le RER. Pour moi, c'est de la compensation, pas de l'accessibilité. L'accessibilité va de pair avec l'autonomie.”
Des structures du quotidien accessibles : moins d’anxiété à la clé
Arnaud Guillemot, alpiniste sourd et fondateur du collectif Silence, on grimpe ! qui se bat pour une meilleure accessibilité des festivals, nous propose la description d’une journée ordinaire dans un monde accessible. Les différentes parties de cette journée sont essaimées tout au long de ce texte, mais pour commencer, il nous parle d’une scène que la plupart d’entre nous vivons tous les matins : comment faire pour rejoindre son lieu de travail et comment rendre la ville accessible ?
“21/04/2030 - 7h00, je me réveille grâce aux vibrations de mon réveil. Il est l’heure de commencer la journée. Après un petit-déjeuner avalé en vitesse, je file prendre le tram. Manque de bol, les annonces affichées en toutes lettres sur le tableau indiquent une panne technique. Je saute sur mon vélo pour rejoindre mon lieu de travail.
Tout en traversant la ville, je remarque que ces dernières années, de nombreux efforts ont été faits pour que l’espace public soit accessible aux personnes à mobilité réduite, les trottoirs sont abaissés, les ascenseurs sont rarement en panne, la totalité des commerces sont équipés de rampe d’accès. J’observe qu’il y a même des feux piétons sonores pour les aveugles et les malvoyants.”
Avec ces structures du quotidien accessible, on touche aussi à un point essentiel quand on parle d’accessibilité : la tranquillité d’esprit, ou plus largement une baisse de l’anxiété générale liée à son handicap.
En effet, quand on a un handicap, on doit se demander constamment si tel ou tel événement, transport ou lieu nous sera accessible. Cette anxiété est devenue presque habituelle : on s’attend à ce que là où on veuille aller, on ne puisse pas.
Emeline Clair, qui aide les indépendants en situation de handicap à vivre de leur activité et trouver des clients, et elle-même en situation de mobilité réduite, nous résume extrêmement bien ce que changerait un monde accessible pour une personne en situation de handicap dans son quotidien :
“Pour moi un monde accessible, c'est une société qui ne se poserait même pas la question de savoir si telle ou telle structure, qu'elle soit physique ou digitale, est accessible ou non car penser accessible à tous et toutes serait naturel.”
Un espace de représentation
L’accessibilité qui nous permet d’exister
Un monde accessible n’existerait pas sans l’inclusion des personnes concernées par le handicap. Il doit se penser, s’imaginer, se solutionner avec elles.
Elles doivent exister dans nos innovations et nos solutions.
Un monde accessible, c’est justement un monde qui permet aux personnes handicapées d’exister et de prendre la place dont elles ont besoin pour travailler, vivre et profiter.
Dans la suite d’une journée dans un monde accessible, Arnaud nous illustre très bien à quoi ressemblerait un monde qui lui permettrait de travailler dans des bonnes conditions et d’être pleinement inclus sur son lieu de travail :
“Un quart d’heure plus tard, j’arrive au boulot, direction la machine à café, mes collègues parlent en face de moi et prennent la peine de me faire des résumés des conversations de groupe quand je n’ai pas réussi à suivre. Ces bonnes pratiques ont pu voir le jour grâce au module de sensibilisation qui est systématiquement mis en place par les entreprises en fonction des besoins de la personne. Je démarre mon travail par une réunion de 10 personnes, heureusement que la transcription des échanges en direct me facilite la tâche. Comment était-ce possible de travailler sans ces bonnes conditions, il n’y a même pas 10 ans ?”
Un monde de création et de co-création
Virginia Woolf le disait déjà très bien en 1929 : pour créer, il faut de l’espace pour soi. (A room of one’s own, ou Un lieu à soi). Avec cette expression, elle sous-entendait que plusieurs choses étaient indispensables pour permettre aux femmes de créer dans une société patriarcale :
un espace physique (une pièce) dans lequel on peut écrire sans être dérangé ou obligé de faire autre chose;
un espace mental (de l’argent), c’est-à-dire une certaine aisance financière pour ne pas s’inquiéter du lendemain;
un espace de représentation (des publications), car quand bien même les femmes avaient la possibilité d’écrire, il fallait encore pouvoir être publiée et vue, dans une société où on les décourageait.
C’est quelque chose que l’on peut sans doute également appliquer aux personnes en situation de handicap : pour un monde accessible, il faut laisser un espace pour que les personnes concernées puissent nous faire part de leurs besoins, de leurs retours, de leur créativité, aussi.
C’est ce que nous explique Emmanuelle Aboaf, conférencière et développeuse sourde, quand elle nous décrit un monde accessible et ce que ça signifierait pour les personnes handicapées :
“Un monde où on construirait des outils adaptés à leurs besoins et des sites Internet accessibles. Un monde où on impliquerait les personnes handicapées dans les processus et où on demanderait leur avis parce qu’il serait impensable de créer des outils ou des services sans elles. Un monde où on créerait avec elles et pas sans elles.
Rien sur nous sans nous.”
Donner de la place aux personnes concernées, c’est aussi leur assurer les meilleures conditions possible de création et d’imagination pour ne pas se priver de leurs inventions, écrits et visions du monde.
Isabelle Alix, artiste, podcasteuse et porteuse de TND (troubles du neuro-développement) nous fait part de ce besoin avec poésie :
“Un monde accessible, pour moi, c’est comme une grande symphonie où chaque note, même atypique, trouve sa place et crée une mélodie harmonieuse. C’est un espace où ma dyslexie danse avec les lettres sans trébucher, où ma dysorthographie s’amuse avec les mots comme une artiste joue avec ses couleurs. Où ma dysphasie tisse des phrases en fil d’or, patientes et précieuses, même si elles prennent un peu plus de temps à éclore.
C’est un monde où ma mémoire de travail, coquine et fugueuse, ne me joue plus de tours, parce qu’elle a des petites balises lumineuses pour la guider. Où mon casque à conduction osseuse devient une baguette magique qui transforme les sons en douce musique d’apprentissage.
C’est un univers où l’originalité n’est pas une bizarrerie mais un trésor, où la créativité est un langage, et où la technologie est une fée complice qui me chuchote à l’oreille : "Vas-y, crée, invente, brille à ta façon".
Un monde accessible, c’est un monde où apprendre rime avec plaisir, où l’on joue avec les idées au lieu de les subir, où chaque pas est une danse et chaque découverte une aventure.”
Un espace de compréhension
Comprendre les besoins et y répondre sans justification
On dit souvent que l’accessibilité commence par l’empathie, c’est-à-dire que l’on doit se mettre à la place de l’Autre pour tenter de comprendre ses besoins et ses émotions. C’est pour ça que l’on propose souvent, lors de modules de sensibilisation, des activités pour se mettre à la place de l’autre : bandeau noir sur les yeux pour “voir” ce que peut signifier être aveugle.
Pour moi, l’accessibilité passe d’abord et avant tout par la compréhension de l’autre : apprendre de la bouche des personnes concernées leurs conditions de vie, sans préjugés, sans se dire : “elle exagère” ou “elle peut se débrouiller sans”.
Ouvrir un espace de compréhension, où les personnes non concernées peuvent avoir un espace pour connecter avec la personne concernée et la comprendre et où les personnes concernées se sentent comprises à la fois : c’est peut-être la première étape pour arriver à un monde accessible.
C’est ce qu’Emmanuelle nous décrit dans la suite de sa version d’un monde accessible : un monde où l’on comprend que l’inclusion des personnes handicapées est essentielle et qu’elle passe par l’accessibilité.
“L’accessibilité serait partout et standardisée pour permettre aux personnes handicapées de s’intégrer et de ce fait, de faire partie de la société. Un monde où on trouverait normal de voir des personnes handicapées circuler dans la rue, aller faire les courses, assister à des spectacles, avoir un logement adapté, prendre les transports en commun. Faire tout ça sans qu’il y ait un obstacle sur le chemin et sans effort.
Un monde où les personnes handicapées peuvent travailler sans discrimination avec un aménagement adapté à leurs besoins. Si un lieu, un service ou un site Internet n’était pas accessible, un procès serait intenté au nom de l’égalité. Parce qu'il a été prouvé que l’accessibilité est utile, que ce n’est plus une option mais un droit.”
Les singularités sont présentes et normalisées
Oui, l’accessibilité est utile et la différence est source d’enrichissement. En nous ouvrant nous-même un espace pour accueillir les différences, on normalise le fait de voir des personnes handicapées et d’interagir avec elles. On les inclut pleinement sans tomber dans l’écueil de l’idéalisation ou de l’inspiration porn, c’est-à-dire sans les traiter comme des sources d’inspiration, “tellement courageuses” de vivre avec leur handicap.
Normaliser l’accessibilité et le handicap, tout simplement. Ouvrir les yeux sur ce qui est déjà en face de nous, aujourd’hui.
C’est ce que Marie-Emilie Gallissot, auteure d’audiodescriptions et sous-titreuse nous partage en poésie :
“Un monde accessible ? Vertige ? Trou noir ? Profondeurs abyssales... ou atmosphère nébuleuse ? Temps suspendu ? Espace supposé, conditionnel ? Territoire aride, désolé. Errance. Histoire copieuse et complexe. Le temps passe. Laisse des traces. Horizon à l’électrocardiogramme bien plat, trop lisse... Faudrait un peu de relief. Effervescence pourtant. Pléthore de compétences qui ont le désir du collectif. Non, pas uniformité : unité et pluralité. Éclaircie. Acte 1er du « Rendre accessible » : Faire pour... la technique. Solutions bâties, technologiques, innovantes... Faveurs ? Bla-bla, non, un droit. Ouf, seulement une éclipse des astres. Différence et Singularité. Seulement camouflés de façon passagère. On ouvre l’œil, on tend l’oreille.
Bruissement d’une multitude de particules -tant de singularités, tant de sensibilités, tant de façons d’être au monde-.
Oui, le mouvement -nous- bouscule, perturbe, chahute, frictionne. Voilà justement de quoi nous décentrer. Et voilà que l’électrocardiogramme retrouve des courbes, des variations, du rythme. On écoute ce monde qui palpite, traversé de souffles et de sensible.”
Un espace de culture
Rendre la culture accessible à toutes et tous
Dans un monde accessible, l'accès à la culture est un droit pour toutes et tous, car que serions-nous sans la culture ? Ou plutôt, qui serions-nous ? Car c'est en partie la culture qui forme notre société.
Tant d'efforts sont faits pour la préserver et l'enrichir, pourquoi ne pas ajouter des efforts pour la rendre accessible au plus grand nombre ?
Dans le monde accessible d’Emmanuelle, tout lui serait proposé en version accessible pour qu’elle puisse choisir ce qu’elle a envie de regarder.
“Un monde où je ne serais pas obligée de me demander si un événement me sera accessible : une vidéo, un film, une série ou encore un spectacle sous-titré impeccablement. Un monde où je ne serais pas obligée de faire des efforts pour suivre et comprendre.
Un monde où tout le monde trouverait naturel qu’il y ait des sous-titres partout et on se scandaliserait quand il n’y a pas de sous-titres parce qu'il a été prouvé que les sous-titres sont utiles à tout le monde.”
Le droit au savoir
Avoir accès à la culture, c'est aussi avoir accès au savoir partagé, notamment dans les endroits qui diffusent ce savoir : de la maternelle en passant par les études supérieures jusque dans la vie professionnelle.
Avoir accès au savoir, c'est reprendre le pouvoir sur ses décisions de vie : savoir pour qui voter en toute connaissance de cause. Savoir quelles causes défendre, justement.
Avoir accès au savoir, c'est aussi pouvoir le transmettre : dans un monde accessible, tout le monde aurait accès au savoir accumulé, à l'histoire, aux perspectives, aux avancées et idées de la communauté handicapée.
Dans la suite de sa journée idéale dans un monde accessible, Arnaud Guillemot peut profiter de toutes les activités culturelles proposées dans sa ville au même titre que les entendants, sans devoir fournir d’efforts supplémentaires. On reconnait aussi la réalité du handicap dans la société et ce n’est plus quelque chose de tabou.
“19h00, je prends mes tickets pour aller au théâtre où les pièces sont surtitrées. Dire que toute cette richesse culturelle m’était inaccessible dans un passé pas si lointain. J’observe qu’il y a même de l’audiodescription pour les aveugles et les malvoyants. L’accessibilité est tellement généralisée à tous les niveaux que chaque personne n’a pas le sentiment d’être handicapé vu que tout est adapté. De plus, les écoliers suivent des cours d’empathie et de sensibilisation sur les différences dès la maternelle, la qualité des relations humaines progresse de manière significative. Toute la société aborde ces sujets sans filtre et sans tabou car tout le monde a réalisé que cela pouvait toucher n’importe qui, n’importe quand. La journée arrive à sa fin, j’ai encore de l’énergie à revendre, c’est surprenant par rapport aux années 2000 où il fallait constamment s’adapter à la société et que je finissais éreinté des efforts fournis.”
Une accessibilité de qualité pour ne pas avoir une culture au rabais
L'accessibilité, c'est un métier, ou du moins des compétences spécifiques pour ne pas proposer une accessibilité au rabais par manque de connaissances.
Dans un monde accessible, elle est pensée au même titre que toutes les autres étapes qui doivent être mises en place pour organiser un évènement, monter une pièce de théâtre etc.
Oui, l’accessibilité est et doit être présente, mais pas n’importe comment. C’est ce que l’on a déjà compris même dans notre monde d’aujourd’hui.
Par exemple, avec la loi Handicap de 2005, la présence du sous-titrage Sourd et Malentendant devient obligatoire à la télévision pour les chaînes publiques et privées au-dessus des 2,5 % de l'audience totale des services de télévision.
Mais qui dit présence des sous-titres ne veut pas dire accessibilité pour les personnes qui en ont besoin : il faut que ces sous-titres soient de qualité.
C’est pour cela qu’en 2011 a été ajoutée la Charte relative à la qualité du sous-titrage Sourd et Malentendant pour garantir la qualité des sous-titres via une norme que les sous-titreurs professionnels suivent à présent.
Emmanuelle le rappelle très bien dans la suite de son texte : un monde accessible passe par une accessibilité de qualité et non au rabais. Des sous-titres accessibles, faits par des professionnels.
“Un monde où tout le monde respecterait les standards de sous-titrage. Fini les sous-titres fabriqués n’importe comment : les sous-titres qui font mal aux yeux, qui clignotent, qui donnent le vertige, qui ne se voient pas, qui ne sont pas suffisamment contrastés, qui défilent à toute vitesse sans qu’on puisse les lire, qui disparaissent au bout d’une minute et j’en passe. En somme, des sous-titres accessibles. Un monde où on payerait les sous-titreurs et sous-titreuses professionnelles à leur juste valeur.
Un monde où on concilierait la fabrication des sous-titres avec l’intelligence artificielle. Sous-titrer prend du temps alors on utiliserait l’IA pour sous-titrer et ensuite on corrigerait les erreurs car, même dans ce monde parfait, l’intelligence artificielle peut faire des erreurs. Un monde où on trouverait normal de combiner l’intelligence artificielle avec l’intelligence humaine parce que l’intelligence artificielle est un outil, un copilote, un assistant.
Et ce ne serait pas appliqué qu’aux sous-titres.”
Mais à quoi ça ressemblerait concrètement, ce monde où l’accessibilité serait mise en place de manière systématique ? Julie Klène, interprète en langue des signes française et sous-titreuse, nous donne son point de vue de professionnelle et nous donne quelques idées, avec en plus ce que ça implique directement quand elle n’est pas mise en place.
“Tout ce qui est diffusé sur un écran est sous-titré et traduit en LSF par des professionnel.le.s.
Tous les événements accueillant du public et tous les événements de la vie politique, sociale, artistique et culturelle sont sous-titrés en direct et interprétés en LSF, et même en LSF tactile/haptique pour les personnes sourdaveugles.
Tous les cursus scolaires de la maternelle à l'université, quelle que soit l'orientation et la matière, sont accessibles pour que les personnes Sourdes et celles qui entendent autrement choisissent leur carrière en fonction de leurs goûts et envies plutôt que par obligation, là où l'accessibilité existe un peu.”
Pour en savoir plus sur l’accessibilité des événements, vous pouvez lire mon article en cliquant sur le lien ci-dessous.
Un espace de respect
Le respect des autres en tant qu’êtres humains
Un monde accessible passe par le respect de la dignité humaine, quel que soit son handicap, son origine, son orientation sexuelle ou autre.
C’est donner la même place aux personnes handicapées qu’aux personnes valides. C’est ne pas constamment remettre en cause leur besoin d’aménagements. C’est ne pas minimiser les agressions ou micro-agressions qu’elles peuvent subir au quotidien à cause de leur handicap.
C’est les respecter en tant qu’êtres humains.
Arthur Lin, conférencier et formateur en accessibilité et IA, nous résume bien en quoi un monde accessible doit être un véritable espace de respect de chacun et chacune.
"Pour moi un monde accessible, c’est tout simplement un monde où les personnes en situation de handicap n'auraient pas à se justifier d'avoir un besoin d’aménagement pour être autonome dans leur vie quotidienne. Un monde accessible est un monde où il y a une place pour chacun, au delà des règlements et des lois, où chacun est respecté dans son unicité, dans sa dignité, dans son humanité".
Le respect des professionnels de l’accessibilité
J’ai eu à coeur de donner la parole à des professionnelles de l’accessibilité car c’est leur travail minutieux, expert, invisible et souvent dévalué qui permet dans beaucoup de cas l’accessibilité.
Parfois même, ces métiers liés à l’accessibilité sont dévalués par rapport à d’autres qui y ressemblent.
Par exemple, le sous-titrage VOST (traduction) est souvent mieux payé et perçu comme plus difficile que le sous-titrage SME (Sourd et Malentendant), alors que les deux demandent un gros travail technique et d’adaptation. Il m’est arrivé de passer plus de temps sur le sous-titrage SME d’un film que sur sa traduction, comme je propose les deux services.
De même, les interprètes en langue des signes ont un niveau d’études égal aux interprètes en langues orales (anglais, français…) mais sont souvent peu connues et reconnues.
Une grande partie de notre travail, à nous professionnelles de l’accessibilité, souvent méconnu et bénévole, est la sensibilisation.
Dans un monde accessible, la sensibilisation ferait tellement partie de notre quotidien qu’elle n’incomberait plus aux pros de l’accessibilité ni aux personnes handicapées elles-mêmes, mais bien à l’ensemble des parties prenantes de la société.
Un monde accessible serait aussi un espace de respect pour et envers les pros de l’accessibilité.
Julie, en tant qu’interprète français-LSF (langue des signes française) nous parle des clichés liés à sa profession qu’elle subit au quotidien et ce qu’elle aimerait que les gens aient en tête dans un monde accessible.
“Je suis interprète français – LSF (langue des signes française) et je rêve d'un monde accessible où les personnes entendantes comprennent que je ne suis pas l'interprète de la personne sourde, je ne suis pas son accompagnante, je ne suis pas là pour prendre les décisions à sa place ou pour expliquer quoi que ce soit.
Je ne suis pas bénévole, c'est bien mon travail quotidien, rémunéré, et celui pour lequel j'ai fait 5 ans d'études et réussi un Master d'interprétation, comme mes collègues en anglais/espagnol/chinois/arabe... Les interprètes, que ce soit en langues vocales ou en langues des signes, travaillent entre 2 langues, 2 cultures, 2 personnes ou groupes de personnes : ces 2 groupes ont besoin des interprètes pour se comprendre, échanger leurs idées et partager leurs avis.
Sous prétexte qu'on parle de personnes Sourdes, la société pense immédiatement au handicap (qu'elle provoque et favorise, soit dit en passant) et que les interprètes sont là pour pallier celui-ci. Or, l'impossibilité de communiquer est partagée. Une personne entendante au milieu d'un groupe de personnes Sourdes est la personne « handicapée » par la situation qui l'empêche de communiquer comme elle en a l'habitude. Arrêtons donc de dire que je suis l'interprète de la personne Sourde : j'interprète pour tout le monde.
Dans un monde accessible, je n'ai plus à me battre pour expliquer la nécessité de la présence de l'interprète, de nos besoins d'éléments de préparation en amont pour traduire au mieux les enjeux et discours.
Dans ce monde accessible, lorsqu'on fait appel à mes services, c'est avec l'envie de communiquer clairement son propos à toutes les personnes que l'on va rencontrer (pas seulement pour faire joli), qu'elles soient Sourdes signantes ou entendantes.
Par ricochet, la présence de l'interprète est un des moyens mis en place pour rendre accessible son contenu, en parallèle d'une transcription écrite (en direct ou sur support durable) pour que les allocutions soient aussi accessibles aux personnes qui ne maîtrisent pas la LSF.
Un monde accessible, c'est aussi la reconnaissance de tous les métiers de la traduction et de l'interprétation (interprètes, équipes de traduction, de sous-titrage, de doublage) avec des rémunérations justes et des conditions de travail décentes et respectées.
Dans ce monde accessible, on ne regarde plus les choses sous le spectre de la « déficience » mais de la différence, on ne « répare » pas, on ne force pas à être quelqu'un d'autre, on ne cède pas aux pressions des lobbies médicaux et eugénistes. Tout le monde apprend la LSF... D'ailleurs, puisqu'on y est, dans ce monde accessible, on n'a même plus besoin d'interprètes français – LSF car tout le monde a appris la LSF ! Et moi de me concentrer sur mon deuxième métier : le sous-titrage !”
Un espace d’entraide et de communauté
Des échanges rendus possible
L’intérêt aussi de rendre la culture accessible, c’est de permettre le partage qu’elle peut créer. Rendre le plus de contenus et événements en tous genres accessibles, c’est permettre une meilleure inclusion des personnes handicapées dans la société et la possibilité pour les valides d’échanger avec elles.
Grâce aux échanges rendus possible, un monde accessible peut être un véritable espace d’entraide et de communauté, car l’accessibilité n’est pas seulement rendue possible par des techniques et solutions d’accessibilité, mais aussi par la volonté de l’appliquer par tout le monde.
Dans cet extrait, Arnaud nous explique comment, dans un monde accessible, les solutions techniques d’accessibilité et les solutions trouvées sur le moment par la communauté - et même par les pouvoirs publics - lui permettent de vivre sa vie sans encombres.
“12h00, c’est l’heure du repas, je parle de la soirée cinéma de la veille à mes collègues où j’ai pu voir un film français sous-titré en français. C’était une belle expérience depuis que les exploitants de salle de cinéma ont l’obligation de répondre à cette demande grâce aux contrôles accrus sur le respect de la loi du 11 février 2005. Mes collègues sont ravis de pouvoir échanger leurs ressentis sur ce film et me recommandent même d’autres références à voir. Le repas est terminé et vu la belle météo, je prends mon après-midi pour aller faire de l’escalade. Je passe un coup de fil grâce à la transcription puis je retrouve mes amis en falaise. Nous nous mettons d’accord sur des codes pour communiquer avec la corde. Quelques voies plus tard, je rentre chez moi. Petit détour par la boîte aux lettres, je reçois un courrier de la MDPH qui annonce accepter ma demande d’aides pour mon logement. Elle me propose même des solutions que je ne connaissais pas et qui s’avèrent très utiles. Le délai de réponse est incroyablement court, seulement 2 semaines au lieu d’1 an il y a quelques années, que de progrès depuis qu’ils ne questionnent plus sur les besoins formulées par la personne concernée. De plus, ils sont au courant des dernières avancées qu’ils n’hésitent pas à dire.”
Une reconnaissance de la citoyenneté pour enfin faire société de manière égale
Pour enfin faire société toutes et tous ensemble, qui que l’on soit, et permettre un monde accessible, une reconnaissance de la citoyenneté pleine et entière des personnes handicapées est indispensable.
Si nos droits à l’information, au vote, à s’exprimer ne sont pas respectés en tant que personnes handicapées, on se sent exclu.
Dans un monde accessible, les situations de handicap seraient moindres et donc on ne subirait plus de discriminations.
Dans la suite de son texte, Emeline résume parfaitement ce à quoi ressemblerait ce monde accessible et non-discriminatoire :
“Il n'y aurait plus de distinction entre une personne dite "valide" et une personne dite "handi", plus de majoration, plus de discriminations au logement, à l'emploi, etc. On serait toutes et tous des citoyens et des citoyennes à part entière, égaux devant la loi en droits et en devoirs.”
Un lien communautaire pour faire bouger les lignes
Faire communauté est un besoin partagé par tous les êtres humains. Et même dans un monde accessible, se regrouper en collectif, lutter ensemble et persévérer ensemble serait toujours indispensable.
Un monde accessible permettrait également de le faire. Dans un monde où l’accès serait facilité que ce soit pour les personnes valides ou handicapées, se mobiliser au sein de sa communauté serait d’autant plus possible.
Rejoindre un collectif, manifester, partager ses valeurs, militer : tout ça serait aussi rendu accessible.
Arnaud, à la fin de sa journée idéale, nous rappelle l’importance cruciale de cette communauté pour faire avancer les choses, et surtout peut-être, éviter qu’elles ne reculent.
“22h00, avant d’aller me coucher, je discute avec d’autres personnes motivées sur comment faire bouger les lignes sur les dernières poches d'inaccessibilité. Rien n’est acquis…”
Grandir avec l’Autre
Avec cette communauté, nous avons aussi besoin de cette grande bouffée d’air frais qu’est la diversité.
Enfermé seul ou avec des gens complètement identiques à nous, impossible de grandir, de s’épanouir, d’ouvrir son esprit.
Personnellement, je n’ai jamais été aussi heureuse que depuis que grâce à mon travail et mes engagements associatifs, je côtois des personnes très différentes de moi, avec des parcours de vie différents et des idées auxquelles je n’aurais jamais pensé.
Elles m’accueillent comme je suis, elles comprennent mes forces et mes difficultés : c’est dans la diversité que je trouve ma place.
Marie-Emilie partage ce sentiment dans la suite de son texte. Y a-t-il plus grande joie que de travailler ensemble dans un but commun, avec chacune et chacun des forces différentes ?
“Acte II du « Rendre accessible » : Faire avec... Le·s Vivant·s. Ça démarre, n’est-ce pas ?! Sans L’Autre, je serais bien incomplète ou vide. J’ai le besoin qu’on tisse un « nous ». Je remercie toutes ces rencontres qui me nourrissent, me grandissent, depuis que j’ai tenté l’aventure tant de l’audiodescription de spectacle que de la traduction de la LSF. À vrai dire, le mot « accessibilité » fait assez peu partie de mon vocabulaire. Peut-être parce que naïvement, je le reconnais, je voudrais que tout un chacun·e accède à ses besoins et envies, sans conditionnel. Et non pas qu’iel ait seulement « la possibilité d’accéder à ».”
Conclusion
Merci d’avoir embarqué avec nous dans ce voyage vers un monde accessible 🚀
J’espère que ça vous a plu, vous a donné des idées, inspiré des réflexions… Si c’est le cas, partagez-le-nous en commentaires. 💜
Pour ajouter le mot de la fin, un monde accessible ne se construit pas sans l’intersectionnalité. C’est un monde où nous sommes toutes et tous libres de mener notre vie sans contraintes, efforts supplémentaires ou dangers liés à notre genre, apparence, couleur de peau, sexualité, origine etc.
Les luttes pour l’accessibilité se conjuguent et s’assemblent avec les luttes intersectionnelles pour les droits humains. 💜
Un immense merci à tous les auteurs et autrices qui ont participé à cette newsletter. Vos textes étaient exceptionnels. Pour les retrouver, vous pouvez cliquer sur les liens ci-dessous :
Arnaud Guillemot :
LinkedIn (lien)
LinkedIn du collectif Silence on grimpe ! (lien)
Instagram (lien)
Instagram du collectif Silence on grimpe ! (lien)
Wahiba Faure :
LinkedIn (lien)
Emmanuelle Aboaf :
LinkedIn (lien)
Site Internet (lien)
Emeline Clair :
LinkedIn (lien)
Instagram (lien)
Marie-Emilie Gallissot :
LinkedIn (lien)
Julie Klène :
LinkedIn (lien)
Isabelle Alix :
LinkedIn (lien)
Site Internet (lien)
Arthur Lin :
LinkedIn (lien)
Site Internet (lien)
De mon côté de la planète 🪐
Ces deux derniers mois ont été très très riches et intenses, d'où ma présence très réduite sur les réseaux pour me concentrer sur mes missions client et mes activités bénévoles auprès des personnes concernées.
Côté mission client : j'ai donné un webinaire pour l'ENS de Lyon sur l'accessibilité audiovisuelle. L'occasion de sensibiliser une cinquantaine de membres du personnel sur les solutions d'accessibilité qui existent et leur mise en place, après deux mois passés à former deux de ses membres au sous-titrage accessible. Ça a été intense aussi au niveau sous-titrage, avec des projets en partenariat avec quelques-unes de mes élèves, une formation médicale, des extraits de podcast pour les réseaux sociaux, le deuxième épisode de RISE, de beaux court-métrages et plus encore !
Les deux mois ont aussi été intenses en sous-titrage en direct, avec notamment plusieurs journées de conférence à traduire. Grâce à la technique du perroquet, ma collègue Lucie et moi pouvons vous proposer de sous-titrer en direct votre événement en anglais vers le français et inversement. En même temps que la personne parle, les sous-titres s'affichent pour permettre aux personnes qui en ont besoin de voir s'afficher la traduction en direct des propos ! Comme si vous regardiez tranquillement votre série avec les sous-titres, mais en direct.
Pour en savoir plus et voir des exemples :
C'est la fin de mes cours de sous-titrage à l'université catholique de Lyon pour cette année, mais ma session de formation de mai-juin se poursuit ! Bravo à Johan, Céline, Roxane et Valérie qui ont fait la session de mars-avril. La formation complète au sous-titrage est aujourd’hui complète pour 2025.
Je suis partie deux semaines en Ecosse pour faire une pause loin des écrans. L’occasion notamment de monter le Ben Mcdhui, le deuxième plus haut sommet du Royaume-Uni ! Si seulement la montagne pour atteindre un monde accessible était aussi facile à gravir ! 😉
J’espère que cette newsletter un peu spéciale vous a plu et inspiré ! Merci encore infiniment à tous mes co-auteurs et co-autrices. C’était vraiment un bonheur et un honneur de recevoir vos textes.
Je reste à votre disposition pour échanger par mail ou messagerie, et si vous souhaitez aller plus loin :
Merci pour cet article très riche et intéressant, merci pour ton travail de qualité !
Pour que ces nouvelles réalités adviennent. Très inspirant concernant la direction que l'on doit viser.